Centre Maurice Halbwachs

La course pour l’avenir

Une anthropologie politique du projet de ville durable: le cas de la réforme des microbus à Mexico

À travers une ethnographie de la réforme du transport en microbus lancée à Mexico dans les années 2000 et toujours en cours, j’interroge comment des projets de société produisent des appartenances et des altérités. Dans une démarche d’anthropologie politique, je mobilise une étude de cas élargie afin de restituer les transformations correspondant à la crise du projet national fondé sur la rhétorique du progrès et déployé dans le contexte de l’industrialisation au XXe siècle. Cette thèse décrit les mécanismes à travers lesquels le nouveau projet de construction d’une ville globale fondé sur la rhétorique de la durabilité et promu dans le contexte de la mondialisation financière s’incarne au quotidien et participe à produire de nouveaux sujets et de nouvelles altérités.
À Mexico, les propriétaires et chauffeurs de microbus constituent une corporation de métier qui assure la majorité des déplacements quotidiens. Sans être «autochtones» (indígenas), ils sont couramment qualifiés d’«indiens» (indios) par les habitants, terme qui renvoie à la figure historique de l’altérité nationale et qui est dans cet usage mobilisé comme un stéréotype insultant afin de pointer leur supposée «arriération». La corporation des transporteurs est en effet considérée comme un atavisme des modes d’organisation configurés par le projet national d’industrialisation et d’urbanisation à l’origine de la crise écologique et comme une enclave du système politique autoritaire qui a porté ce projet avant la transition démocratique des années 1990.
La réforme du transport en microbus est portée par le gouvernement de Mexico, par des ONGs internationales spécialisées dans le développement urbain durable et par une partie des transporteurs de la ville. Elle consiste à transformer les syndicats de microbus en sociétés anonymes à capital variable. Un nouveau régime de propriété et une organisation scientifique du travail sont destinés à intégrer la corporation aux réseaux internationaux de circulation de crédit et de marchandises écologiques. Des dispositifs de surveillance et de moralisation visent en outre à inculquer aux transporteurs une éthique de travail et de gestion des ressources censée participer à la production d’une ville durable.
Ma recherche se base sur un terrain d’observation ethnographique réalisé entre 2018 et 2020 au sein d’un syndicat de microbus et d’une entreprise de bus en voie de formation. Ces observations ont été complétées par un travail d’archives et un ensemble d’entretiens auprès de fonctionnaires et d’experts porteurs de la réforme.
Les chapitres déploient des descriptions de situations et de pratiques de la vie quotidienne au sein des deux organisations observées. Je restitue la division du travail, les régimes de production, de gestion et de redistribution des ressources, les modes de gouvernement de soi et des autres ainsi que les formes de sociabilité et de distinction au sein de la corporation. Je restitue également les éthiques de travail tout comme les principes d’autorité et les représentations de soi qui sous-tendent l’appartenance au métier. Par la mise en contraste du quotidien dans le syndicat et dans l’entreprise, je rends l’expérience que les transporteurs font des technologies politiques imposées par la réforme. Je rends aussi les multiples bricolages, traductions et conversions de valeurs avec lesquels ils redéfinissent des hiérarchies, des rôles sociaux et des conceptions de soi.
Mes analyses restituent les aspirations qui dessinent les contours des projets individuels et collectifs relatifs à une vie bonne et digne et leur rôle dans la production de violence sociale, d’altérités et d’exclusions. En particulier, ma thèse démontre que la bancarisation des organisations de transport à Mexico constitue tout autant une méthode de moralisation de la vie publique destinée à opérer la transition écologique qu’un processus de concentration du capital qui dépossède la plupart des transporteurs de leur autonomie.
Mots-clés : transition écologique, bancarisation, ville globale, nationalisme, Mexico, transports, mobilités urbaines, technologies politiques, rituel, altérité, subjectivité, aspirations.

Co-direction

Paula López Caballero

Composition du jury

Susana Narotzky, anthropologue, professeure à l’Université de Barcelone, rapportrice
Elisabeth Cunin, sociologue, directrice de recherche à l'IRD, rapportrice
Arnaud Passalacqua, historien, professeur des universités à l’Université Paris-Est Créteil, examinateur
Laurent Berger, anthropologue, maître de conférences à l’EHESS, examinateur
Guénola Capron, géographe, enseignante-chercheure à l’Universidad Autónoma Metropolitana-Azcapotzalco (Mexico), examinatrice
Benoît de L’Estoile, directeur de recherche au CNRS, directeur de thèse
Paula López Caballero, enseignante-chercheure à l’Universidad Nacional Autónoma de México, directrice de thèse

Soutenance

03/02/2025

14h00

CMH, salle R1-08
Posted on 11/02/2022 par Webmaster (last update on 13/01/2025)