L’alimentation infantile est fortement encadrée par les instances médicales. Elle constitue alors un point d’observation privilégié des modalités d’expansion du champ d’intervention de la médecine et de la diffusion des cultures savantes. Suivant cette perspective, elle apparaît justiciable d’une analyse dans les termes de la sociologie de la culture, qu’elle peut contribuer à renouveler. La problématique principale de cette recherche peut se formuler ainsi : comment s’articulent les déterminants sociaux de l’alimentation infantile ? Cette question renvoie aux conditions de la stratification sociale des pratiques culturelles et de la formation des « goûts de classe ». Afin de répondre à cette question, deux ensembles de données sont mobilisés. La première partie de la thèse procède de l’analyse d’un large corpus documentaire, composé d’articles scientifiques, de publications à destination des parents et des échanges tenus sur le principal forum en ligne consacré à la puériculture. La deuxième et la troisième partie reposent sur l’analyse des données de l’Étude longitudinale française depuis l’enfance. Cette enquête recueille des informations sur la totalité des nouveau-nés, en 2011, d’un échantillon aléatoire de 349 maternités en France métropolitaine.
L’échantillon final est constitué d’environ 18 300 nourrissons. L’enquête aborde les thématiques du développement, de la santé et de l’alimentation des nourrissons, elle renseigne également le détail des caractéristiques sociodémographiques des parents. La première partie de la thèse est consacrée aux conditions de production et de diffusion des recommandations médicales en matière d’alimentation infantile. Nous montrons que, d’une part, les luttes pour le monopole de l’autorité scientifique à l’intérieur de l’espace de la recherche en nutrition pédiatrique, d’autre part, les demandes particulières des pouvoirs publics (d’encadrement de la population) et des industriels (de connaissance des habitudes des consommateurs), adressées aux experts de l’alimentation infantile, révèlent l’incertitude et la variabilité des recommandations médicales en matière d’alimentation infantile.La réception par les parents de ces recommandations médicales peut alors prendre la forme d’une appropriation des recommandations dominantes, d’une appropriation des recommandations médicales dominées considérées comme mieux actualisées ou d’une mise à distance, parfois très critique, des recommandations médicales voire de la résistance au principe même d’une puériculture médicalisée. L’enjeu de la seconde partie est de montrer comment peuvent s’articuler système de dispositions et « modèles de puériculture ». Nous montrons que la conformité, de l’alimentation des nourrissons, aux recommandations médicales est fonction de l’interaction entre le niveau de diplôme des mères et les conditions de leur socialisation au maternage (notamment, leurs pratiques de recherche d’information en matière de diversification alimentaire). Ainsi, la réception de la puériculture médicalisée apparait dépendante autant du rapport entretenu, par les parents, à la médecine comme système abstrait que du rapport qu’ils entretiennent aux représentants de ce système. Ces rapports étant fonction de l’expérience scolaire des parents. Le constat de la faible fréquence d’une alimentation infantile conforme aux recommandations médicales et de l’imperfection de l’homologie entre espace des positions sociales et espace des pratiques parentales en matière d’alimentation infantile dans l’échantillon invite à interroger l’effet des habitudes et des préférences alimentaires des mères sur l’alimentation des enfants. Dans une troisième partie, nous montrons que les répertoires alimentaires maternels ont un effet propre ainsi qu’un effet conditionné aux caractéristiques sociales des mères sur l’alimentation des enfants durant leur première année.
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