Tonnerre est un bourg rural d’environ 4500 habitants situé dans le département de l’Yonne, à environ deux heures de train de Paris. La ville passe en une vingtaine d’années, entre les années 1990 et 2010, du statut de ville industrielle à celui de ville désindustrialisée, avec pour conséquence un décrochage économique, démographique et social : 1500 emplois industriels sont supprimés, la commune perd le quart de sa population entre 2000 et 2020, le nombre de logements vacants double, de même que le nombre de personnes bénéficiant de l’Allocation Adulte Handicapé. Pour faire face au vide laissé par les départs, les bailleurs locaux, privés ou publics, mettent en œuvre des dynamiques de remplissage visant à trouver des locataires, même venant de loin. Ces dynamiques endogènes rencontrent des dynamiques de relégation, en partie extérieures au territoire : des hôpitaux psychiatriques, des communes, des prisons, des CHRS, cherchent des places pour des personnes en situation de précarité. À partir d’un corpus de plusieurs milliers de photographies documentaires et d’une cinquantaine d’entretiens menés auprès de professionnels et de personnes déplacées, cette thèse vise à décrire, depuis un point d’arrivée, les trajectoires résidentielles et les logiques institutionnelles de différentes filières d’arrivée, afin de comprendre ce que cela fait à des personnes précarisées d’être déplacées dans une ville dont elles ignoraient jusqu’alors l’existence.
Partant de cette question sociologique depuis la photographie documentaire, l’enquête ethnographique menée dans la ville de Tonnerre entre 2017 et 2022 ouvre des perspectives épistémologiques : à quelles conditions la photographie documentaire pourrait-elle prétendre constituer un outil scientifique ? La recherche, expérimentale et inductive, revêt alors un objectif double : les matériaux produits sur le terrain servent à la fois à comprendre les déplacements de personnes précarisées depuis un territoire vers un autre, et en même temps à comprendre la photographie documentaire elle-même. La thèse, composée à la fois d’un écrit théorique et d’une exposition, propose d’une part une analyse sur la dimension spatiale des inégalités sociales et d’autre part un ensemble de propositions théoriques et méthodologiques pour outiller la photographie documentaire et plaider pour qu’elle devienne une discipline à part entière dans le champ des sciences sociales.
Mots-clés : relégation, inégalités, territoire, déplacements, psychiatrie, précarité, méthode, ethnographie, photographie, réflexivité
École Normale Supérieure
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