Cette thèse propose d’examiner les transformations qui se sont produites dans l’inscription de différents acteurs évangéliques dans l’espace public au Guatemala, depuis les années quatre-vingt. Au confluent de la sociologie des religions et de celle des mouvements sociaux, ce travail situe les évolutions récentes à la lumière de leurs racines historiques. Adoptant une démarche inspirée de la sociologie pragmatiste, elle postule que la plus grande visibilité de ces acteurs leur permet d’exercer une forme d’emprise sur une partie des croyants, et parfois au-delà, en raison notamment des modalités multiples par lesquelles cette influence peut s’exercer. Les acteurs de l’espace évangélique se sont en effet structurés, ce qui, joint à leur forte présence médiatique, leur permet d’exercer une emprise nette sur le débat public. Parmi les autres modalités de présence, la musique, et tout particulièrement la pop chrétienne -analysée à l’aune de la narratomusicologie, joue un rôle important, comme les productions littéraires de fiction, dont le récit compose un substrat véhiculant une idéologie particulière. Il en va de même de la pénétration évangélique dans le secteur éducatif. Une attention à la formation des pasteurs a permis de préciser les influences intellectuelles qui s’exercent sur ces acteurs-clés de l’espace évangélique. Ces formes nombreuses de présence au quotidien contribue à la plus grande visibilité des Évangéliques dans le débat public, qui s’est illustrée par la constitution d’un “agenda évangélique” s’ordonnant autour des thèmes liées à la morale sexuelle et du droit des femmes, comme le montre l’étude d’une controverse liée à une proposition de loi (l’initiative 5272) dont on retrace le parcours. En considérant ces acteurs évangéliques comme des mouvement sociaux, la thèse situe les intervenants à l’entrecroisement de réseaux nationaux mais aussi transnationaux, qui trouvent leur origine aussi bien aux États-Unis qu’en Amérique Latine. Cette inscription au sein des mouvements conservateurs a favorisé leur apprentissage politique. L’examen des réseaux locaux a permis de montrer que l’influence prêtée aux “Évangéliques” cache en partie celle de groupes plus traditionnels, liés à l’oligarchie économique et aux cercles militaires hérités du conflit civil. Tel est le cas des manipulations visant à contrôler le processus de désignation des magistrats des Hautes Cours de Justice. De même, la défense d’une “nation chrétienne“ et une forme locale de ”sionisme chrétien” s’expliquent plus par des considérations politiques internes que par des arguments théologiques, même si ces derniers sont mobilisés dans les discours. Le résultat de l’élection présidentielle de 2023 montre enfin que le “vote évangélique” est loin d’être aussi homogène qu’il a pu être affirmé. Au final, on constate qu’il s’agit plus d’usages politiques du religieux que d’une mainmise de celui-ci sur le politique, même si des tentatives d’instrumentalisation ont eu lieu de la part de certains acteurs, surtout à leur profit.
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