Comment l’immobilier est-il devenu une nouvelle « classe d’actifs » pour les fonds d’investissement et les investisseurs institutionnels ? Alors que la financiarisation de l’immobilier en France est souvent analysée comme une étape liée à l’arrivée de fonds anglo-saxons au lendemain de la crise immobilière de 1991-1995, venant modifier les logiques de détention patrimoniale de l’immobilier des compagnies d’assurance, cette thèse entend l’appréhender comme un processus politique, qui se met progressivement en place dans les années 1980 au cœur des institutions financières françaises, non sans contestation. À partir d’archives privées inédites d’entrepreneurs de ce changement institutionnel, d’une ethnographie de deux ans dans ce monde au croisement de la finance et de l’immobilier et de quatre-vingt entretiens, elle analyse comment émerge et s’étend un « champ de l’immobilier financiarisé » (Fligstein, McAdam, 2012) des années 1990 à la fin des années 2010, qui partage la conception de l’immobilier comme « actif financier » à valoriser et la nécessité d’extension de ce marché. Elle vient ainsi rompre avec le récit développementaliste déployé par les professionnel·les de l’immobilier opposant un « avant » financiarisation, marqué par des pratiques professionnelles archaïques et des relations marchandes reposant sur l’interconnaissance, et un « après » financiarisation, caractérisé par l’avènement d’un véritable marché de professionnel·les, par la transparence des échanges ainsi que par une standardisation et une harmonisation des pratiques à l’échelle internationale. Dans ce cadre, la thèse porte une attention particulière à la fabrique de la valeur sur ce marché de l’immobilier financiarisé. À partir d’une socio-histoire des institutions de valorisation et d’une ethnographie des pratiques de travail déployées par une myriade d’acteurs du champ, elle soutient l’idée selon laquelle la valeur financière repose sur une architecture institutionnelle spécifique, qui participe à soutenir l’activité d’accumulation des investisseurs immobiliers. Celle-ci est entendue comme un ensemble stabilisé de règles formelles, juridiques, formes d’organisation du travail, dispositifs (méthodes de calculs, normes comptables, etc.), mais aussi de compromis informels et de croyances propres au champ. Une attention particulière est portée aux « crises » qui ont marqué ce secteur et qui révèlent les rapports de force au sein du champ, ainsi que les ressorts sociaux du maintien ou de la fragilisation de cet édifice de la valeur.
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