En France, plus d’un jeune sur cinq âgé de 16 à 25 ans est soit un lecteur médiocre, soit en grande difficulté de lecture, soit en situation d’illettrisme. Ces difficultés massives en sortie de parcours scolaire trouvent leurs origines dans l’entrée dans la culture écrite, entre la fin de maternelle et le début de l’élémentaire. L’objectif de cette thèse est de comprendre la genèse de ces difficultés de lecture en France en répondant aux questions suivantes :
• Quelles méthodes d’enseignement mettent en œuvre les professeur⸱es de maternelle et de CP en France et quelle est leur efficacité respective ?
• Pourquoi les élèves issus de classes supérieures sont-ils moins exposés que les autres à ces difficultés ? Quels sont les savoirs scripturaux que les familles – majoritairement de classes supérieures – transmettent à leurs enfants ? Pourquoi ces savoirs permettent à ces derniers de réussir scolairement et comment ces transmissions s’opèrent-elles ?
Nos résultats s’appuient sur une démarche interdisciplinaire croisant les travaux de sciences cognitives et de sciences sociales, ainsi que sur la mise en œuvre de méthodes mixtes : deux enquêtes ethnographiques longitudinales, l’exploitation statistique des évaluations nationales exhaustives – 810 328 élèves évalués au CP et au CE1 – ainsi que l’enquête Formalect. Les enquêtes ethnographiques ont consisté à suivre par entretiens 51 familles de différentes classes sociales entre les années de GS et de CE1 de leur enfant, et à réaliser chaque année des observations dans leur classe. Au total, nous avons réalisé 164 entretiens avec les parents et 569 heures d’observation dans les classes de GS, de CP et de CE1. Les évaluations nationales ont permis d’identifier les connaissances qui, avant l’enseignement formel de la lecture au CP, déterminent son bon déroulé. L’enquête Formalect a quant à elle consisté à interroger par questionnaire un échantillon représentatif des professeur⸱es de CP en France (9 340 réponses complètes, soit près d’un⸱e professeur⸱e sur cinq) au sujet de leurs méthodes d’enseignement de la lecture, et à croiser leurs réponses aux évaluations de leurs 139 288 élèves. Ses résultats permettent la description des méthodes d’enseignement en France ainsi que l’évaluation de leur efficacité différentielle.
La thèse est composée de deux parties, qui reprennent chronologiquement le suivi des élèves :
la première partie est consacrée à la maternelle, et la seconde à l’élémentaire. Les résultats des sept chapitres permettent de dévoiler la chaîne explicative au cœur de la fabrique des inégalités scolaires d’entrée dans le lire-écrire en France en 2024 : la connaissance du principe alphabétique (CPA), principal déterminant de l’apprentissage ultérieur de la lecture, n’est pas enseignée à l’école maternelle. Elle est en revanche inégalement transmise par les familles, de façon croissante à mesure qu’augmentent les dotations en capital scolaire des parents. Près de 40 % des élèves de France entrent chaque année au CP dépourvus d’une bonne CPA, et ils sont pour la majorité issus de milieux faiblement diplômés. La CPA précocement acquise assure aux élèves un apprentissage ultérieur réussi de la lecture, même lorsqu’ils sont exposés au CP à des méthodes d’enseignement peu efficaces – les méthodes phoniques mixtes. Or ces méthodes sont employées par 95 % des enseignant·es de CP de France. Les élèves qui y sont exposés et qui n’avaient pas, dès le début du CP, une bonne CPA, expriment des difficultés que même les familles de classes supérieures ont du mal à dépasser. En revanche, lorsqu’ils apprennent avec une méthode phonique synthétique stricte, ils entrent correctement dans la lecture, mais moins de 5 % des enseignant·es la mette en œuvre. L’ensemble de ces éléments permet de comprendre les difficultés massives d’entrée dans la lecture que révèlent année après année les évaluations nationales et qui touchent majoritairement les enfants de classes populaires.
Mots-clés : apprentissage de la lecture ; inégalités scolaires ; prédicteurs ; pratiques enseignantes ; pratiques de transmission familiales
École Normale Supérieure
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