L’établissement et la marginalisation représentent l’envers et l’endroit de la condition populaire : d’un côté, l’inscription dans un cercle vertueux, d’un autre, l’inscription dans la spirale descendante des déviances. Notre étude s’appuie sur deux principales enquêtes situées chacune à l’un de ces pôles et montre une forme de permanence de ce clivage dans le temps et dans l’espace. En dépit de cette profonde fracture, les enquêtes montrent qu’il est encore pertinent de rattacher ces « établis » et ces « marginaux » à la « grande famille » des catégories populaires. Les membres de ces fractions continuent à partager une expérience relativement similaire des rapports de domination. Cette expérience commune de la domination crée des structures communes propres aux classes populaires : on retrouve, par exemple, sur les deux terrains, le goût de l’entre-soi, le familialisme, la dialectique entre jalousie et fierté au fondement de la solidarité de condition et de l’égalitarisme. Les membres des classes populaires partagent une façon particulière d’être-au-monde (un ethos), un certain rapport à la connaissance, à l’espace, au champ des possibles… Ils partagent enfin une même nécessité : celle de se préserver de la disqualification associée à la condition de subalternes. Cet ethos peut être saisi à partir des valeurs revendiquées et des représentations en circulation à l’intérieur du groupe, dès lors qu’on les rapporte aux enjeux qui sont à leur origine : les défenses symboliques du « moi » (et du « nous ») face à la domination.
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