Souvent réduit à une vocation, l’enseignement a été considéré tardivement par la sociologie comme un véritable travail, susceptible, à cet égard, de faire l’objet d’un contrôle. Depuis la fin des années 1980, plusieurs recherches ont entrepris de combler ce vide en prenant pour objet d’étude le rapport des enseignant·es à leur métier ainsi que les pratiques professionnelles, notamment pédagogiques, qu’ils/elles déploient, tout en insistant sur les spécificités propres à chaque niveau d’enseignement. En revanche, la question de leur évaluation est restée un angle mort de la recherche en sciences sociales. Cette thèse s’empare de ce sujet en examinant la refonte du dispositif d’évaluation des professeur·es du second degré opérée, en France, dans le cadre d’une réforme aux multiples volets (2012-2017), dont certains sont communs à l’ensemble de la fonction publique. À partir de l’étude de ce moment réformateur, elle entend renouveler le regard porté sur ce groupe professionnel, composé de presque 400 000 personnes, en le resituant dans une dynamique historique plus large de modernisation néo-managériale de la gestion des agent·es de l’État. Au carrefour de la sociologie du travail enseignant, des professions, de la gestion et de l’action publique, elle ambitionne de suivre le cheminement de la « valeur professionnelle » des professeur·es du second degré tout au long du dispositif d’évaluation, en proposant de sociologiser – et, partant, de déconstruire – cette notion centrale du vocabulaire administratif de la fonction publique. Pour cela, trois questions ont été posées : De quoi cette « valeur professionnelle » est-elle faite ? Comment est-elle mesurée ? Que produit-elle une fois qu’elle a été déterminée ? À cette fin, un dispositif empirique mixte, alliant observations, entretiens, examen de corpus officiels et analyses statistiques, a été élaboré pour saisir ce qui se joue aux différents niveaux de l’action publique. L’approche par le haut, destinée à étudier la fabrique du dispositif d’évaluation et les enjeux politiques qui lui sont associés, a été complétée par une approche par le bas, visant à en appréhender la déclinaison sur le terrain. Cette thèse montre que le contenu prescrit de la « valeur professionnelle » des professeur·es est traversé par l’institutionnalisation d’une « logique compétence » au sein du modèle historique de la qualification disciplinaire, qui va dans le sens d’une individualisation et d’une normalisation croissantes. Le bouleversement des légitimités professionnelles qui en résulte, tant du côté des évalué·es (enseignant·es) que de celui des évaluateur·rices (chef·fes d’établissement et inspecteur·rices), affecte l’acte de mesure en tant que tel de cette « valeur ». Finalement, si la prise en compte de cette dernière dans la détermination des carrières enseignantes et dans l’organisation du travail au sein des établissements scolaires s’accompagne de l’amorce d’une recomposition des classements qui structurent l’espace social de l’Éducation nationale, elle est loin de mettre fin à l’emprise des modes de régulation traditionnels du corps professoral dans le secondaire, au premier rang desquels le statut.
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