Centre Maurice Halbwachs

Devenir suspect. Légitimation et contestation des perquisitions et des assignations à résidence sous l’état d’urgence (2015-2017)

La thèse porte sur les 754 arrêtés d’assignation à résidence édictés et les 4469 perquisitions administratives mises en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence, proclamé à la suite des attentats du 13 novembre 2015 et prolongé jusqu’en octobre 2017 en France. Plutôt que de chercher à définir ce qu’est l’état d’urgence, ou à évaluer son efficacité en se demandant ce qu’il aurait dû être, cette recherche analyse ce que ces mesures produisent sur les pratiques et les représentations sociales des personnes ciblées. Pour cela, ce travail étudie le processus de légitimation et de contestation de l’état d’urgence à partir d’une enquête combinant plusieurs méthodes : analyse textuelle de débats parlementaires ; entretiens avec des acteurs institutionnels et des personnes ciblées ; réalisation d’une base de données relative aux recours contestant ces mesures devant la justice administrative. Au-delà de leur usage communicationnel, préventif et à des fins de collecte de renseignement, les perquisitions et les assignations à résidence gagnent à être pensées comme des pratiques administratives de rappel à l’ordre des personnes musulmanes concernant les limites des pratiques et des discours religieux et politiques acceptables. Ce rappel à l’ordre repose sur une extension législative du pouvoir administratif, qui légitime une logique du soupçon et un ciblage bien en amont de la commission d’infractions. La thèse identifie quatre idéaux-types de personnes ciblées : des individus présentant des antécédents judiciaires et suspectés de « radicalisation » ou d’être liés à l’« islam radical » ; des personnes soupçonnées de préparer un départ dans la zone irako-syrienne ; des militant·es d’extrême gauche (en minorité) ; et, enfin, des personnes musulmanes pieuses, qui sont signalées pour une transgression supposée des normes dominantes d’expression religieuse ou de genre et par des acteurs distincts du champ sécuritaire. L’état d’urgence constitue par conséquent un catalyseur du tournant administratif de l’antiterrorisme et de la sécuritisation des politiques de gestion du culte musulman en France. En se focalisant principalement sur les deux derniers idéaux-types, la thèse donne à voir comment ce rappel à l’ordre se traduit par une modification du quotidien des personnes ciblées devenues suspectes vis-à-vis des autorités administratives, mais également de leur entourage. Mises en œuvre à l’échelle de l’espace domestique et intime, ces mesures transforment les relations sociales, les pratiques religieuses visibles et les rapports à l’État des personnes ciblées. Une minorité d’entre elles, dotées de ressources sociales, scolaires et économiques, conteste ces mesures dans les médias ou devant la justice administrative. Afin de remettre en cause l’étiquetage administratif et le stigmate d’une supposée dangerosité, elles reprennent majoritairement à leur compte les catégories d’entendement de l’administration relatives à la « radicalisation », pour mieux s’en distancier. En composant avec la grille de lecture administrative, elles ne peuvent pour autant s’en extraire, ce qui rend finalement la contestation de l’état d’urgence indissociable de sa légitimation. Au croisement de la sociologie politique de l’État, du droit et de la justice, des discriminations et des recherches sur la réception de l’action publique, la thèse constitue une étude de cas de la reproduction du pouvoir symbolique de l’État à imposer des catégories de perception et à orienter les manières de faire et de penser le religieux et le politique en contexte laïque.

Supervised by

Co-direction

Claire de Galembert

Composition of the jury

Laurent Bonelli, Université Paris Nanterre, rapporteur
Vincent Dubois, Sciences Po Strasbourg, examinateur
Claire de Galembert, CNRS, co-directrice de thèse
Abdellali Hajjat, Université Libre de Bruxelles, rapporteur
Liora Israël, EHESS, examinatrice
Saba Le Renard, CNRS, co-directeur·ice de thèse

Defence

09/10/2025

14h00

salle R2-02
Publiée le 2022-02-11 par Webmaster (dernière modification le 2025-10-13)