Ce travail de doctorat montre que le nationalisme et les identités nationales ne façonnent aucunement la société moderne et qu’ils ne constituent pas plus un obstacle au multiculturalisme qu’à la construction européenne. Je soutiens au contraire que des principes associant une théorie de la reconnaissance et une théorie de la justice peuvent jouer un rôle bien plus déterminant dans la légitimation de l’ordre politique européen que la recherche d’une homogénéité culturelle ou d’une identité. Cette thèse sera défendue en trois parties comprenant chacune une analyse théorique de la littérature scientifique suivie d’études quantitatives mobilisant des enquêtes internationales (International Social Survey Programme, Enquête Européenne sur les Valeurs et Eurobaromètre) comme nationale (Trajectoires et Origines). La première partie porte sur la signification de la catégorie de nation et la diversité de ses usages. Elle décrit, dans de très nombreux pays, les représentations de l’appartenance à la nation et de l’intégration des étrangers. Elle prend ensuite l’exemple de la France pour examiner les relations entre la façon dont les enquêtés jugent de leur propre appartenance nationale et la façon dont ils pensent être jugés par les autres. Cette partie met en lumière les nombreuses formulations de cette idée d’appartenance nationale, ses contradictions, sa multidimensionnalité ainsi que ses déterminants sociologiques. La seconde partie prend pour objet les relations entre sentiment d’appartenance à la nation, légitimité politique et solidarité. Les catégories nationalistes apparaissent comme participant de la légitimité des institutions politiques, mais seulement parmi de nombreuses autres et sans avoir de prééminence. Par exemple, dans tous les pays enquêtés, la très grande majorité des individus se révèlent favorables à des mesures de régulations internationales sur des problématiques dont les conséquences dépassent la nation, comme c’est le cas pour les enjeux environnementaux. En outre, le sentiment d’appartenance à la nation ne se révèle nullement associé à l’expression d’une plus grande solidarité envers les membres de cette même nation. La troisième partie examine sur une période de trente ans (1978-2012) les attitudes à l’égard de la construction européenne, son image et les peurs qu’elle suscite ou encore ce que les Européens disent pouvoir constituer une identité et une citoyenneté européennes. Les enquêtés se révèlent le plus souvent favorables à la construction européenne et l’éventuelle perte d’une identité nationale ressort toujours comme l’un des thèmes les préoccupant le moins. Au contraire, l’établissement d’un système de protection sociale harmonisé entre les États membres est, en 2012 et dans la quasi-totalité des pays de l’Union européenne, jugé comme l’élément le plus important pour favoriser la construction d’une citoyenneté européenne. La plupart de ces résultats montrent ainsi qu’en dépit d’une importance certaine des identités nationales, elles ne conduisent pas à un dilemme entre la diversité d’une part et la légitimité politique ou la solidarité d’autre part, comme le voudraient les tenants d’un « dilemme progressiste » ou les critiques de la construction d’un ordre politique supranational.
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