Le dossier qui porte le titre général « L’ingénieur dans tous ses états : enquête sur une profession en chantier, XVIIIe-XIXe siècles » comprend quatre volumes :
un manuscrit de synthèse de mon parcours intitulé « La recherche historique comme une aventure de l’esprit » (volume I, 144 pages)
un recueil de travaux intitulé « Les experts techniques et les systèmes de pouvoir, entre transferts et circulations, XVIIIe-XIXe siècles » comportant une sélection d’articles et de chapitres d’ouvrage (volume II, 306 pages).
un document inédit (manuscrit original) intitulé : « Planète ˝Betancourt˝ » (volume III, 837 pages)
un volume d’illustrations pour le document inédit (141 pages, 264 illustrations)
Résumé du manuscrit original : Planète « Betancourt »
L’ouvrage propose une plongée dans l’univers des techniques des Lumières dans ses expressions multiples auquel l’étude monographique sur l’ingénieur espagnol Augustin Betancourt (1758-1824) servira de fil conducteur.
Dans le monde professionnel en mutation, au milieu de l’Europe agitée par des cataclysmes politiques et militaires, le parcours de cet homme des Lumières est emblématique de l’investissement d’un expert engagé qui endosse le rôle de médiateur dans la mise en chantier d’un nouveau professionnalisme. Il joue, en effet, un rôle crucial dans la construction d’une nouvelle identité de l’ingénieur fondée sur la somme des compétences spécifiques dispensées dans un cadre hautement institutionnalisé et mises au service du bien public : il dirige des groupes d’experts, fonde des écoles d’ingénieur et des corps techniques, organise et pilote l’enseignement et la recherche dans les divers domaines de l’art de l’ingénieur, se pose à l’origine des études théoriques des phénomènes techniques (machine à vapeur, systèmes de la petite navigation), des nouvelles disciplines (fondements de la thermodynamique, science sur les machines) et écoles scientifiques (mécanique appliquée)… Nombreuses sont les branches techniques qu’il a investies : textile et métallurgie, extraction minière et chimie des colorants, techniques agricoles et frappe de la monnaie, dragage des cours d’eau et techniques de la vapeur, horlogerie et instruments de mesure, télégraphie optique et art mécanique, hydraulique et hydrotechnique, travaux publics et architecture, urbanisme et aménagement du territoire.
Quatre capitales européennes l’ont accueilli aux différents moments de sa vie : Madrid, Paris, Londres et Saint-Pétersbourg. Détailler l’apport spécifique de chacune dans la culture technique de Betancourt fera partie de nos préalables, développés dans le premier volet de l’ouvrage. Cet apport a une signification différente selon qu’il s’agit de l’axe « Paris – Londres », central pour la formation et l’essor professionnel de l’ingénieur, ou de l’axe « Madrid–Saint-Pétersbourg », essentiel pour comprendre la diversité des pratiques d’appropriation des expériences acquises. C’est justement ce second aspect, dans ses applications effectives, –la promotion des organismes de formation, d’enrôlement et d’administration des ingénieurs des travaux publics – d’abord en Espagne puis surtout en Russie – qui va nous intéresser dans le second volet de l’ouvrage. Leur comparaison nous aidera à suivre en temps réel, pour la mettre ensuite dans la perspective historique, l’évolution de la pensée d’expert en matière de création institutionnelle qui s’étoffe et s’affine sous l’effet du contexte mais aussi, à un niveau plus global, de l’état évolutif du domaine d’intervention.
Mobilité, expertise et réseau sont les trois mots-clés qui résument, selon le mode minimaliste et au plus grand degré d’abstraction, à la fois l’essence de l’action de Betancourt et les éléments structurants de notre grille d’analyse. La force des liens faibles est une notion utile pour comprendre le caractère percutant de ses initiatives tributaires de l’expertise collective de ses pairs, acteurs des techniques européens. Questionnée en aval, l’originalité de la démarche de Betancourt tient d’un rapport très personnel, interactif et intime, qu’il entretenait avec l’univers des techniques. Ce rapport à la fois intuitif et raisonné était nourri par l’amour de l’art, le respect des sciences et la profonde conviction que les techniques et l’ingénierie possèdent leur intelligence propre. Vu dans cette optique, sa vie et son œuvre apparaissent comme un effort soutenu à donner à cette intelligence particulière des titres de noblesse, une visibilité et une respectabilité socioprofessionnelle à part entière.
L’étude s’appuie sur un corpus de ressources documentaires (plus de 2300 items) accumulées au cours de recherches de longue haleine (une vingtaine d’années au total) menées dans plusieurs pays d’Europe et d’Amérique. Leur lecture analytique et contextualisée a permis de brosser le portrait haut en couleurs d’un homme créatif du XVIIIe siècle, trop versatile pour marquer définitivement un seul domaine, envahi par des soucis du quotidien et des problèmes plus délicats de cohabitation avec les grands de ce monde. Mais au-delà – infailliblement fidèle à sa vocation. En revanche, la somme d’exemples tirés d’une micro-histoire personnelle est éclairante des processus plus globaux qui interpellent aujourd’hui l’histoire sociale, et parmi eux : l’émergence de l’ingénieur moderne, la circulation des idées et leur acculturation, le rôle de l’ingénieur dans la société et ses rapports avec le pouvoir, l’engagement social des experts techniques, leur expansion dans d’autres domaines d’activité, leurs réseaux de sociabilité, etc.
Enfin, le pan contemporain de cette étude concerne la réflexion sur les problèmes épistémologiques du genre biographique, et notamment sur la place de l’individuel dans l’étude des phénomènes sociétaux, qui permet, à son tour, de rebondir sur des questions qui touchent à l’usage social des sujets biographiques et à leur récupération par des groupes d’acteurs contemporains en quête de repères identitaires.
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