À l’entrelacs de la sociologie de la connaissance et de l’anthropologie historique des conduites de soi, la thèse interroge la nature du réinvestissement de la tradition islamique parmi l’immigration postcoloniale et ouvrière en France. Un premier moment de l’étude est fondé par l’ethnographie longue de la cité des Bosquets à Clichy-sous-Bois et de la mosquée en son sein. Par les entretiens répétés avec les ouvriers immigrés et leurs enfants, la consultation des archives du lieu de culte et l’observation quotidienne des interactions entre les fidèles et au-delà, il s’agit de démontrer que le procès historique de la réaffiliation religieuse est insécablement socio-théologique : l’alliance intergénérationnelle pour la constitution d’un ordre respectable en situation de marginalité urbaine est immédiatement redoublée par l’invitation réflexive à la piété individuelle. Si la réaffiliation religieuse ne rompt pourtant guère avec le procès d’individualisation moderne, l’autonomisation à l’égard des modes historiques de la tradition discursive islamique – en particulier, la jurisprudence du fiqh – a pour corollaire l’investissement redoublé de l’adoration rituelle et subjective parmi les immigrés et leurs enfants. Une telle réélaboration de l’acte religieux, que l’on nomme la fidélité, est étudiée par le biais de la formulation pratique que lui donne la prédication spiritualiste et ascétique des Frères de l’Effort. À travers le récit de la fréquentation régulière de leurs retraites prédicatives, la thèse affirme que les prédicateurs issus de la cité constituent tant l’idéalisation réflexive de la réaffiliation religieuse parmi le collectif des immigrés et de leurs enfants qu’une polarité authentiquement utopique en son sein.
Mais la fidélité est également interrogée depuis son reste relatif, que l’on identifie au phénomène des émigrations religieuses vers la Syrie révolutionnaire. Par l’enquête à la frontière turco-syrienne et en Iraq, il s’est agi d’appréhender la projection dans la séquence historique des révolutions arabes de deux régimes concurrents du théologico-politique, soit l’utopie d’une présentification hic et nunc de la « voie de Dieu » – char’ Allah – et la restauration gouvernementale lors de l’émergence de l’État islamique.
Enfin, si l’on affirme que l’immigration postcoloniale et ouvrière renouvelle par une singulière voie la tradition discursive islamique, il est simultanément interrogé les conditions de l’accueil d’une telle forme de vie au sein de la société globale.
Mots-clés : sociologie de la connaissance ; anthropologie des conduites de soi ; immigration postcoloniale ; tradition discursive islamique ; réflexivité
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