Cette thèse revient sur la mise en place des « tribunaux spéciaux itinérants » (juizados especiais itinerantes) dans le Brésil contemporain (de 1996 à nos jours). Mobiles et spécialisés dans le traitement des dits « petits litiges » entre citoyen.ne.s – conflits de famille, de voisinage ou de terres – ces derniers sont chargés de faire parvenir l’institution judiciaire de l’État dans les espaces les plus éloignés d’elle : d’un point de vue géographique, mais aussi social et culturel. Instaurés après la période dictatoriale, durant le processus de re-démocratisation du régime, ces services judiciaires gratuits devaient permettre un accès démocratisé à la justice étatique, notamment pour les catégories les plus pauvres et marginalisées de la société. L’enquête suit le parcours de l’un des premiers tribunaux de ce type à avoir été mis en place à l’échelle du pays. Dans l’État de l’Amapá (région amazonienne), près de la Guyane et du Suriname, tous les deux mois, juges et médiateurs de justice quittent leurs bureaux du centre-ville pour entreprendre des voyages de plusieurs jours voire semaines, naviguant sur l’Amazone jusqu’aux villages et hameaux les plus lointains de leur circonscription. Sur place, ils administrent les conflits entre habitant.e.s, en délivrant une justice voulue rapide, efficace et conciliatoire. La thèse repose sur une enquête de terrain étalée sur cinq ans dans cette partie amazonienne du Brésil. En lisant (les archives), en écoutant (lors d’entretiens) et en observant (par l’ethnographie) les agents de justice au quotidien, il devient possible d’appréhender au concret le travail judiciaire qu’ils mettent en œuvre dans ces espaces. À l’audience comme dans les interactions ordinaires entre agents de justice et justiciables, ce n’est pas alors seulement l’accès au droit qui est fourni comme ressource aux habitant.e.s : c’est aussi un travail d’encadrement juridique et d’ajustement moral des vies qui s’opère. En s’appuyant sur un matériau diversifié qui restitue les représentations et les pratiques des agents, les analyses montrent ainsi comment l’institution judiciaire saisit les vies quotidiennes qui se déroulent dans ces espaces, dans leurs moindres aspects. En intervenant dans l’ajustement des rapports à soi et aux autres, et en redéfinissant, au cas par cas, les manières d’être et de vivre, l’institution judiciaire révèle alors ce qu’elle fait de plus essentiel à la société, pour autant qu’elle est elle-même structurée par des rapports sociaux qui la dépassent, et qu’elle participe à reproduire.
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