Cette thèse porte sur les parcours hésitants ou de mobilité scolaire descendante dans l’enseignement supérieur québécois d’individus issus de familles où les deux parents ont obtenu un diplôme universitaire. Ayant interrompu leurs études avant l’obtention de leur diplôme ou n’ayant pas terminé de formation universitaire, ceux-ci ont des scolarités qui semblent dévier du cheminement scolaire prescrit par le système éducatif québécois et de la trajectoire scolaire familiale. Or, ces parcours constituent-ils des failles dans le processus de reproduction sociale ? Doit-on plutôt les concevoir comme les indices d’une plus forte individualisation des parcours individuels ?
À l’aide du matériau collecté dans le cadre d’une enquête empirique qualitative et longitudinale, menée à l’automne 2010 et à l’hiver 2011 auprès d’une vingtaine de participants volontaires issus de familles scolarisées, nous avons tenté de répondre à ces questions en mobilisant trois pistes interprétatives, soit 1) l’influence du contexte social et éducatif québécois sur la singularisation des parcours scolaires ; 2) les possibles effets de la transmission et de l’appropriation de l’héritage culturel familial sur les hésitations et les choix scolaires des enquêtés et 3) le poids dynamique des expériences scolaires et extrascolaires sur les ruptures scolaires ou l’abandon des aspirations universitaires.
L’objectivation de la morphologie des parcours à l’étude en quatre cas de figure révèle leur grande hétérogénéité, certains déviant du cheminement prescrit alors que d’autres en restent relativement proches. La typologie issue de l’analyse compréhensive des récits des enquêtés montre, quant à elle, que si l’institution familiale rend compte de l’accès à l’enseignement supérieur et de la persévérance de la vaste majorité des répondants, elle est une clé interprétative dans trois types de parcours, où l’on constate des attentes parentales trop ou pas assez définies, des relations familiales tendues ou encore la présence d’incidents biographiques. Le déroulement des quatre autres types de parcours repose davantage sur l’expérience des répondants durant leurs études supérieures, que ce soit à l’intérieur ou hors de la sphère scolaire. Dans ces cas, il convient de souligner l’effet de problèmes d’orientation scolaire ou de difficultés d’adaptation à l’enseignement supérieur, mais aussi l’influence d’une organisation scolaire souple, qui permet l’interruption des scolarités sans pénalité. Ces parcours ne sont pas non plus étrangers à des éléments de la vie extrascolaire qui caractérisent l’entrée dans l’âge adulte, concomitante à la transition vers l’enseignement supérieur.
Finalement, s’ils sont parfois discontinus ou écourtés, la majorité des parcours scolaires analysés s’insèrent dans une trajectoire scolaire familiale où la tradition des études universitaires est relativement nouvelle. Examinées dans un contexte social et éducatif plus large, ces scolarités sont à saisir à la fois comme le résultat d’une mobilité scolaire et sociale récente et comme le reflet d’une individualisation croissante des cheminements scolaires.
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