Le travail est sous-représenté dans les débats sur la justice sociale. La thèse contribue à combler cette lacune, en considérant le problème de la justice du travail avec une attention particulière aux inégalités du travail. Premièrement, la thèse montre que les théories de la justice ne sont que partiellement équipées pour considérer la justice du travail. La thèse analyse des modèles normatifs de plusieurs traditions : justice distributive (John Rawls, John Roemer, Philippe Van Parijs, Michael Walzer), théorie critique (Axel Honneth, Nancy Fraser, Iris Marion Young), égalitarisme relationnel (Elizabeth Anderson), perspectives normatives du travail (théories du meaningful work, éthique du post-travail, justice contributive). La thèse considère chaque modèle à la fois comme un interlocuteur critique et comme une ressource potentielle dans la conceptualisation de la justice du travail. On considère trois cas paradigmatiques d’inégalité du travail, évalués à travers un « test de justice contributive » : le « sale boulot », la division genrée du travail, et l’« hétéromation » technologique. L’analyse montre que sans une conception d’égalité, on n’a pas d’outils pour répondre à des formes contestables de division du travail. Si l’on veut éviter de défendre une perspective de « meaningful work pour quelques-uns » (ou de « refus du travail pour quelques-uns »), il faut que l’autonomie et la liberté s’accompagnent de considérations d’égalité. Deuxièmement, la thèse propose une perspective alternative centrée sur la norme de « parité contributive ». Selon cet idéal, les formes de travail injustes doivent être transformées lorsqu’elles empêchent aux individus de contribuer à la coopération sociale en tant que pairs, et non parce qu’elles ne se conforment pas un sens intrinsèque du travail ou une idée prédéfinie de nature humaine (pluralisme). De cette façon, cette conception de justice du travail prévient les conséquences paternalistes et le solipsisme moral de certaines théories du meaningful work, tout en défendant la justice du travail. Globalement, cette norme contribue à recentrer le débat de problèmes concernant le sens intrinsèque du travail et la réalisation de soi, au problème de la juste coopération. Puisque les conditions de la justice du travail ne peuvent pas être satisfaites que par les principes de libre choix de l’occupation ou la redistribution, mais concernent aussi les relations sociales, les processus décisionnels, et la nature des tâches et des occupations, la thèse défend une conception multidimensionnelle de justice du travail. La parité contributive demande que pour que tous puissent contribuer à la coopération sociale en tant que pairs, au moins quatre dimensions de justice du travail doivent être satisfaites : économique-distributive (égale liberté du besoin matériel pour un réél libre choix de l’occupation, et juste accès au produit de son travail et de la richesse sociale) ; sociale-relationnelle (être traité.e.s comme égaux soit dans les interactions soit dans les structures du travail) ; politique-démocratique (prendre part aux décisions concernant son travail), et contributive (la qualité et la quantité du travail : autodétermination, stratégies pour la réduction du travail routinaire, réduction tu temps hétéronome). La parité contributive est mieux réalisée lorsque ces dimensions de justice du travail sont réalisées conjointement. Le concept de parité contributive est une réinterprétation dans le contexte de la justice du travail de la norme de « parité participative » proposée par Nancy Fraser (2003). La thèse amende et développe autonomement certaines de ses intuitions dans la direction d’une conception de justice du travail multidimensionnelle, égalitaire, déontologique, et pluraliste, alors qu’elle incorpore des intuitions de l’égalitarisme relationnel et de la justice distributive. Globalement, au lieu d’offrir une véritable théorie de justice du travail, l’idéal de parité contributive offre un standard critique-normatif aidant à évaluer formes existantes de division du travail et stratégies de justice du travail en compétition, et donc à envisager des formes de travail alternatives.
École Normale Supérieure
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