Il est « parti tranquillement », accompagné par ses deux filles, Paola et Nathy, dont nous partageons l’immense peine.
Entré au CNRS en 1980, Jesús y avait fait toute sa carrière. Directeur de Recherche émérite depuis 2009, il avait rejoint le Centre Maurice Halbwachs en 2012.
Anthropologue et américaniste unanimement respecté, il a développé une expertise impressionnante – et reconnue comme telle (ce qui lui a valu d’être invité à enseigner dans pratiquement toutes les universités de toute l’Amérique latine et dans de nombreuses autres en Europe et aux Etats-Unis) – en ethnographie et ethnolinguistique des sociétés mayas du Guatemala et du Mexique. Il a également proposé des analyses brillantes du religieux comme lieu du politique en Amérique latine, notamment à partir de la montée en puissance du néo-pentecôtisme.
Sa thèse de doctorat, dirigée par Jacques Soustelle, visait une analyse des logiques politico-religieuses au principe de l’organisation des sociétés mayas, thématique sur laquelle il a continué à travailler après son recrutement au CNRS et son affectation au Musée de l’Homme (1980-1986). La guerre civile interdisant tout terrain au Guatemala, il a poursuivi des recherches ethnographiques chez les mochó de Motozintal (Chiapas, Mexique). En partant de la langue mochó, il a développé une analyse sur la conception de la personne, la conception du monde, les relations interpersonnelles et la conception du sacré et de la divinité dans ces sociétés. L’approche des systèmes de représentations politiques a été effectuée à partir de l’analyse du système de parenté et du rôle social et politique des confréries. C’est dans cette communauté maya du Chiapas qu’il a commencé à s’intéresser au développement du pentecôtisme et aux processus de conversion, les logiques d’appartenance religieuse constituant un des facteurs de désarticulation des loyautés traditionnelles organisées par le système de parenté.
Son rattachement à l’équipe Sociétés Rurales et Politiques de Développement, dirigée par Claude Meillassoux et Marc-Henri Piault (1986-1990), a marqué une réorientation thématique et théorique liée à la guerre civile au Guatemala entre guérillas de gauche et dictatures militaires. L’un des objets stratégiques majeurs de la confrontation armée étant le contrôle des sociétés paysannes, ses recherches ont dès lors porté sur l’analyse des formes de ce contrôle et des stratégies qui leur étaient attachées, concernant tant le rôle de la guerre dans le changement social et dans la dérégulation des modes de vie traditionnels; les nouvelles formes du catholicisme comme “mouvement social” (action catholique, théologie de la libération, Communautés ecclésiales de base) et son incidence sur la réorganisation des sociétés rurales mayas; enfin le développement du mouvement maya comme résultat de l’implication de ses dirigeants dans l’un ou l’autre des camps en présence et comme processus d’émergence d’une société civile organisée.Affecté ensuite au Groupe de Sociologie des Religions (1990-1994), il a mis en place, avec Michaël Löwy, un pôle de recherche sur le Christianisme de Libération et l’influence des intellectuels catholiques français sur le catholicisme latino-américain, son travail portant sur les nouvelles institutions religieuses, leur rôle dans l’organisation des sociétés rurales mayas et leur fonction politique. Finalement, à partir de 1994 (rattachement au Centre d ‘Etudes Interdisciplinaires des Faits Religieux), sa recherche s’est focalisée sur les néo-pentecôtistes, « fer de lance du religieux dans le global ». L’étroite collaboration nouée entre nous sur ce thème, et plus largement sur le rapport entre religion et politique, explique son affectation au Centre Maurice Halbwachs. Ce rappel, loin de rendre justice à l’exemplarité de sa trajectoire et à l’importance de son apport scientifique, ne saurait passer sous silence le rôle majeur de Jesús, qui a assuré la direction d’une trentaine de thèses de doctorat, comme enseignant. Son séminaire à l’EHESS (Le religieux, lieu du politique. Nouvelles formes du religieux en Amérique latine. Approche anthropologique) a constitué, des années durant, un espace de formation extrêmement précieux et apprécié. Avec Jesús García-Ruiz, nous perdons un grand chercheur, passionné et engagé. Et aussi un ami, chaleureux, généreux, bienveillant. Il nous manque déjà cruellement.