Ce nouveau numéro d’Études et documents examine comment l’opinion publique a été appréhendée en France, avant l’essor des sondages d’opinion qui a suivi la Seconde Guerre mondiale.
Il repère tout d’abord les premières enquêtes réalisées pour les pouvoirs publics. Purement factuelles elles répondent principalement à des préoccupations militaires et fiscales, mais on peut déceler dès le XVIIe siècle un commencement d’intérêt pour ce que l’on appelle alors « l’esprit public », qui vise moins à comprendre ce que pense la majorité des Français qu’à prévenir des troubles éventuels à l’ordre public.
La Révolution française entraîne un intérêt plus vif pour l’opinion des citoyens. Mais il a progressivement diminué au cours du Directoire, du Consulat, du Premier Empire, et il faut attendre la Restauration pour que l’observation de cet « esprit public » devienne systématique à travers les rapports des préfets et l’utilisation de la police secrète, mais également, de 1820 à 1880, avec les rapports des procureurs généraux. Autre exemple au début du XXe siècle, le suivi du moral des combattants et des civils pendant la Grande Guerre s’appuie sur le contrôle postal des correspondances privées dont l’analyse suit des grilles de lecture.
Préfiguration des sondages d’opinion, les référendums de presse ont fait leur apparition en France vers la fin du XIXe siècle, sous la Troisième République. Ils avaient été initiés aux États-Unis dès 1824, sous la forme des « votes de paille ». On observe ainsi, dans les quotidiens et périodiques français une floraison de concours-référendums et de « plébiscites » auprès des lecteurs, visant à accroître et fidéliser leur lectorat.
Ce numéro s’intéresse ensuite aux études de marché auprès des usagers et des consommateurs. Ces enquêtes ont commencé vers 1910 aux États-Unis notamment via les agences de publicité. En France, quelques études ont été réalisées dès la fin des années 1920 par les départements commerciaux de certaines grandes entreprises françaises (comme Citroën) ou les filiales de grands groupes étrangers (Philips, Frigidaire). Le développement de ces études a été favorisé par le Comité National de l’Organisation Française (CNOF), organisme professionnel français spécialisé dans la réflexion sur l’organisation du travail. La théorie et la pratique des études de marché se diffusent alors durant les années 1930.
L’incrédulité vis-à-vis des sondages d’opinion est encore très répandue, en France comme d’ailleurs dans les autres pays où cette technique nouvelle venait de s’implanter. Mais ces réticences se sont progressivement atténuées, sans disparaître totalement, en 1939, grâce surtout à la notoriété croissante, en France, du « Docteur Gallup » et de l’American Institute of Public Opinion.
Le texte conclut par une présentation détaillée des premières enquêtes réalisées en France par L’Institut Français d’Opinion Publique et Le Centre d’Étude de l’Opinion Publique, en 1938-1939 et souligne que c’est l’avènement de la Cinquième République qui conduira finalement les politiques à s’intéresser à ce type de sondage.
La « préhistoire » des études d’opinion en France avant la Seconde Guerre mondiale n’a pas encore été complètement explorée et ce numéro n’en présente qu’un premier inventaire. Il est aussi une contribution à l’histoire des techniques des sciences sociales.